25 juillet 2007

Moi y'en a pas comprendre




Les librairies anglo-saxonnes ont décidé de retirer Tintin au Congo des rayons pour enfants, en raison de son idéologie coloniale et raciste. Je trouve incroyable que les Inrockuptibles, qui ont pourtant fait de la chasse au réac leur sport favori, trouvent le moyen de défendre ce bouquin.

"Une manière indirecte de censurer une œuvre en réduisant ses chances d'être lue par son public naturel", disent-il. J'hallucine. Ses "chances d'être lue", et son "public naturel" ! Est-ce une chance de lire ce bouquin-là, et la littérature coloniale a-t-elle un public naturel ?

La première fois que j'ai lu Tintin au Congo, je l'ai trouvé immonde, et je me suis étonnée que l'on continue à publier un livre qui n'honore ni son auteur ni le genre humain. Je me suis même demandé si Hergé n'avait pas honte d'avoir écrit cela. Les noirs y sont ridiculisés (même les singes parlent mieux qu'eux !), et Tintin, le fusil à la main, passe son temps à trucider la faune locale.

Quant à la "censure" ? Le mot est bien fort, puisque le livre n'est pas interdit, il est seulement déplacé au rayon pour adultes. Un déplacement qui devrait fatalement amener la question : "Pourquoi ce Tintin-là n'est-il pas avec les autres ?" Interrogation qui devrait logiquement donner lieu à une explication de texte et à une réflexion sur l'idéologie qu'il véhicule. Pas plus mal.

Mais oublions un instant l'idéologie pour ne s'occuper que de BD : est-ce que ce livre est un chef d'œuvre tel qu'il justifie que l'on s'arrange du reste ? Même pas ! Tintin au Congo est nullissime, l'histoire est sans intérêt, et son humour tarte à la crème est plus que lourdingue. S'il n'était pas signé Hergé, il y a longtemps qu'on n'en parlerait plus, et personne ne jugerait utile de ressortir cette vieillerie.

Si les enfants ne le lisent pas, hé bien ils n'auront pas perdu grand chose ! L'article conclut sur l'idée que Harry Potter est probablement un héros plus présentable pour les Anglo-saxons. Il n'y a pas photo. Harry est infiniment plus présentable, même pour les non Anglo-saxons.

La vraie place de Tintin au Congo est au rayon "histoire coloniale", comme document d'époque.

Et tiens, pour qu'il serve à quelque chose, on devrait même le vendre couplé à une histoire du Congo, où le lecteur apprendrait que du temps où le Congo belge était la propriété privée du roi Léopold II, celui-ci y a fait régner la terreur. Au nom du caoutchouc, et parce que son altesse a voulu rentabiliser rapidement ses investissements, on a violé, fouetté, torturé, mutilé, massacré, brûlé... Le Congo est devenu l'enfer sur terre, et la population a été victime d'un génocide dont on ne parle jamais.

"le Congo devint une sorte de vaste système concentrationnaire où l'arbitraire constituait la règle. Au cours des années 1890 et 1900, le publiciste britannique Edmund D. Morel et sa Congo Reform Association (1904-1913) surent émouvoir les opinions publiques européennes en dévoilant des photos d'Africains aux mains coupées. Ceux-ci étaient des survivants de massacres, laissés pour morts. En cas de livraison insuffisante du caoutchouc, la règle et l'usage imposaient en effet aux soldats de couper une main - généralement la droite - qu'on rapportait, le plus souvent séchée, pour prouver qu'on avait bien puni des ressortissants du village rebelle. De multiples rapports de missionnaires évoquent ainsi le nombre impressionnant de cadavres privés d'une main, rencontrés flottant sur le fleuve Congo et ses affluents."
"Afrique centrale : le temps des massacres", par Elikia M'Bokolo, in Le Livre noir du Colonialisme, Histoires Pluriel, Hachette, 2005.

J'ai vu un reportage sur le Congo belge au temps de Léopold II. On dit que le roi belge est mort avec une expression de terreur sur le visage, en murmurant : "horreur, horreur..."
Horreur, c'est le mot. Et s'il y a un enfer, il est certainement parti y rôtir pour l'éternité.

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Illustrations : John Steed lisant Tintin.
Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais dans la série Chapeau Melon & Bottes de Cuir (The Avengers), quand John Steed lit, c'est toujours des albums de Tintin ! Mais je ne l'ai pas vu lire Tintin au Congo.

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24 juillet 2007

L'Étoffe des héros

Il ne vous est jamais arrivé, à vous, d'avoir des élans éducatifs ? Genre, la belle-soeur me confie son mouflet de cinq ans et j'en profite pour lui faire découvrir des choses nouvelles. Moi, ça me l'a fait hier. Le maigrou en question, le Stig, est un fan de conquête spatiale et il s'est déjà visionné Apollo 13 quinze fois en un mois. Qu'à cela ne tienne...

- Dis-donc le Stig, pendant qu'on fait nos collages et nos pliages, je vais te mettre un DVD qui raconte les débuts de la conquête spatiale !
- Ah, Apollo, Neil Amstrong, z'connais déééézà !
- Non, non, avant eux !
...

Début du film. On voit les pilotes de chasse essayer de franchir le mur du son, et ça ne l'intéresse pas trop... enfin si, une question le taraude qu'il me pose en boucle :

- Il est haut comment le mur du son ?
- Bon, tu vois le Stig, le mur du son, c'est pas un mur. Il existe pas ! enfin c'est un truc que quand on va plus vite que le son ça fait bang !
- Ahhhh, comme le bing bang alors !
- Big bang. Euh, non pas exactement, c'est...
- Ah, ah, regarde l'avion, y va aller s'exploser dans le mur du son ! ah, ah, ah !
- Euh, non, le mur du son c'est pas un mur... il existe pas, enfin si, euh, comment dire (damned pourquoi est-ce que je suis allée lui passer cet espèce de film d'espace alors que je suis nulle en physique !")...

Le film : ....ah, ah, ah, c'est pas ce peigne-cul....!!!

- Tata, c'est quoi un peigne à cul ?
(Argghhhh, j'avais oublié qu'un film américain viril est fatalement bourré de gros mots et d'expressions vulgaires !!! )
- euh... un peigne-cul c'est un type pas intéressant. Tu sais ce qu'on va faire maintenant, on va regarder Bambi, hein ?
- Pourquoi il lui a dit peigne à cul ?
- Écoute le Stig, c'est pas "peigne à cul" qu'on dit, mais "peigne-cul". Pei-gne-cul !
- Pei-gne-cul !!!
- C'est ça !
- Pei-gne-cul, hihi, pei-gne-cul !!!
- Euh, bon, ça suffit maintenant, c'est pas un joli mot et faut pas le dire, t'entends ?
- Boooon d'accoooord, z'le dirai pas...
- C'est bien ! si t'es gentil, demain je t'en apprendrai un autre, mais il faut que tu apprennes à dire les "ch"...

(En disant cela, je songeais qu'il avait exactement l'âge de Gargantua au moment de ses inventions de torcheculs, et que c'est un chapitre qui lu à un petit "guarsonnet" dans son genre le ferait beaucoup rire..)
...

Enfin, ce qu'il y a de merveilleux, avec les enfants, c'est qu'on arrive toujours à leur apprendre quelque-chose de nouveau, même si ce n'est pas exactement ce que l'on avait prévu.

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17 juillet 2007

L'Art pris au mot





L'Art pris au mot ou comment lire les tableaux...
Alain Jaubert, Valérie Lagier, Dominique Moncond'huy, Henri Scepi
Gallimard, 2007,
ISBN 978-2-07-077605-4

Présentation de l'éditeur.
Que comprenons-nous des tableaux que nous voyons ? Et d'abord, que voyons-nous ? Des couleurs, des formes agencées, des perspectives plus ou moins justes ? Que reconnaissons-nous de nous-mêmes, de notre quotidien, de notre imaginaire ? Qu'est-ce qui nous touche, nous émeut, nous fait frissonner ou nous ravit ? Que lisons-nous ? C'est à toutes ces questions que cet ouvrage répond en proposant de cheminer parmi trente chefs-d'œuvre, depuis la position du spectateur innocent jusqu'à celle de l'amateur éclairé. Regarder, comprendre, aimer : un parcours idéal. Dans ces 30 lectures de tableaux : un face-à-face permanent avec la littérature (une centaine de textes cités) ; des informations techniques, des anecdotes vivantes, des ouvertures sur d'autres expressions artistiques, sous forme d'encadrés ; d'autres tableaux qui réinterprètent le thème (plus de cent reproductions). Et pour garder sous les yeux les tableaux commentés : 30 reproductions sous forme de fiches.

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Ne rêvez pas, malgré le sous-titre prometteur - "comment regarder les tableaux..." -, vous pourrez lire le livre tout entier que vous le refermerez sans avoir appris comment lire une oeuvre. Il me semble que l'intention de départ était de faire une sorte de version papier de ce qu'Alain Jaubert nous livrait jusque-là dans ses documentaires. Excellent, me direz-vous, si vous avez apprécié les films. L'idée était assurément bonne, mais c'est la mise en oeuvre qui pose problème. Le documentaire, avec la possibilité offerte de manipuler les formes et d'intervenir sur les images pour illustrer les propos, avait un côté démonstratif et pédagogique que le livre n'a pas. Et, surtout, il y avait, dans les documentaires, une rigueur et une clarté qui font grandement défaut au livre.

Question de méthode : L'art pris au mot tient moins de l'analyse d'oeuvres que de la littérature sur l'art, voire, quelquefois, de la masturbation littéraire. L'art, ici, n'est pas "pris" au mot, il est "englué" dans la prose. Les auteurs accumulent les adjectifs et les phrases qui sonnent bien. Il privilégient la forme au fond, et se complaisent trop souvent dans cet intellectualisme obscur et creux qui est malheureusement la marque de fabrique des écrits contemporains sur l'art. L'interprétation des oeuvres, quelquefois intéressante, parfois douteuse, ou très discutable, car il ne s'agit que de points de vue personnels que, la plupart du temps, rien ne vient étayer, finit noyée dans cette espèce de logorrhée maniériste.

Toujours animés du désir d'en faire plus, au lieu de rester dans l'explication d'une seule oeuvre et de s'en tenir à elle, les auteurs extrapolent et profitent du sujet de la peinture pour s'attaquer en même temps à un ou plusieurs thèmes liés. Et voilà donc que, au beau milieu de l'analyse d'un tableau, le thème devient prétexte à des digressions sur d'autres oeuvres d'autres temps, voire même à dresser l'historique sommaire d'un genre ou d'une technique. On s'y perd.

Et puis, comme si cela ne suffisait pas, on trouve encore, insérés un peu au hasard au beau milieu des commentaires d'oeuvres, des encarts en caractères de couleurs, et qui contiennent des citations, des explications techniques, ou des considérations n'ayant, la plupart du temps, qu'un rapport lointain avec le texte qu'ils viennent parasiter. Tout cela contribue à renforcer l'impression de coq à l'âne, d'amoncellement brouillon, qui se dégageait déjà des analyses.

L'ouvrage ressemble une sorte de fourre-tout assez rebutant. Le format choisi, relativement petit, et le fait que l'éditeur ait resserré textes et images afin de gagner sur le nombre de pages (déjà impressionnant : 573), ne contribue pas qu'un peu à la sensation d'étouffement produite par l'ensemble. Cela se lit, mais il faut être motivé.

Curieux manque de clarté pour une oeuvre qui se veut éclairante et surtout terrible manque de discipline pour qui prétend faire oeuvre pédagogique.
L'idée était bonne, l'ouvrage est érudit, mais, c'est, pour parler crûment, un vrai foutoir. C'est, assurément, pour tous les étudiants en histoire de l'art, un bel exemple de ce qu'il ne faut pas faire en manière de commentaire d'oeuvres.

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