La Folie Polaire
J'ai vu Polaire pour la première fois dans une édition des œuvres complètes de Colette (collection "Bouquins" chez Laffont). Elle figurait dans le dossier photographique, sur trois clichés : perchée sur un trapèze dans la salle de gymnastique de Colette, puis en jeune fille sage, sur un très joli portrait, et enfin en twin, aux côtés de Colette et de son mari Willy. Son allure et son genre de beauté, modernes, très éloignés des critères de l'époque, avaient attiré mon attention. La lecture de Mes apprentissages m'en a appris davantage sur cette chanteuse de café-concert devenue comédienne. Ce que Colette révélait de Polaire dans ses textes était à la fois beaucoup, puisque, à travers quelques anecdotes, elle en dressait un portrait vivant et attachant, et trop peu, car n'y figuraient que des bribes de la vie de l'actrice à une époque précise, celle où elle incarnait Claudine au théâtre vers 1902. Elle n'y disait rien de son passé ni de la fin de sa vie. Une seule allusion à "la triste Polaire de 1935" laissait toutefois deviner un destin malheureux. Cela donnait envie d'en savoir plus ; une envie que je pensais bien n'être jamais satisfaite. On peut imaginer quelles furent ma surprise et ma joie de découvrir La Folie Polaire sur un étal de la fnac. L'improbable et l'inimaginable s'étaient produits.
La Folie Polaire est un objet littéraire inclassable, ni tout à fait roman, ni tout à fait biographie, mais un peu des deux. Il s'agit d'une sorte de voyage onirique sur les traces de Polaire où fiction et biographie s'entremêlent. Cela n'aurait pas concerné Polaire, je n'aurais peut-être pas acheté le livre ; les biographies romancées me dérangent un peu car on ne sait jamais vraiment si ce qui est raconté est fiction ou fait avéré. Mais là, il s'agissait de Polaire, et en apprendre davantage sur elle valait bien que l'on supportât un peu de fiction, d'autant qu'il paraissait évident que l'auteur avait effectué des recherches sérieuses et approfondies sur le sujet. J'ai donc emporté le livre, et je ne l'ai pas regretté. Je pense maintenant que la manière dont Jean-Baptiste Thiérrée a abordé le sujet était probablement celle qui convenait le mieux. Ce livre est l'histoire d'une passion, doublée d'une recherche biographique. D'un côté il y a la l'histoire de la quête, romancée, qui montre l'intimité et les liens forts qui souvent se nouent entre le biographe et l'objet de son étude, et de l'autre, le fruit d'une recherche bien réelle, c'est-à-dire tous les documents rassemblés au fil du temps et qui permettent de retracer le parcours de Polaire, depuis sa naissance en Algérie, en 1874, jusqu'à sa fin misérable en 1939. Fiction et faits historiques coexistent de façon intelligente et harmonieuse dans le récit, sans jamais se confondre.
J'ai un moment regretté qu'il n'y ait aucune photo montrant Polaire vers la fin de sa vie, mais je pense maintenant qu'il s'agit d'un choix délibéré, d'une délicatesse de l'auteur, qui n'a pas voulu offrir la déchéance de l'artiste en pâture au public. L'image brutale de la misère a toujours quelque chose d'obscène, et cette obscénité n'avait pas sa place dans un livre qui est avant tout un hommage et une déclaration d'amour.
Un grand merci à monsieur Thiérrée pour avoir partagé avec nous sa "folie Polaire".
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Jean-Baptiste THIÉRRÉE
La Folie Polaire
Lume, 2007
ISBN 978-2-915474-16-9
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J'ai découvert qu'il existait des enregistrement de Polaire sur internet : ce site, dédié à la chanson française depuis le XIXe siècle, propose quatre chansons d'elle, ainsi qu'une biographie succincte et des photographies. Cela fait tout drôle d'entendre Polaire après avoir lu le livre. Je ne m'attendais pas à cette voix.
La Folie Polaire est un objet littéraire inclassable, ni tout à fait roman, ni tout à fait biographie, mais un peu des deux. Il s'agit d'une sorte de voyage onirique sur les traces de Polaire où fiction et biographie s'entremêlent. Cela n'aurait pas concerné Polaire, je n'aurais peut-être pas acheté le livre ; les biographies romancées me dérangent un peu car on ne sait jamais vraiment si ce qui est raconté est fiction ou fait avéré. Mais là, il s'agissait de Polaire, et en apprendre davantage sur elle valait bien que l'on supportât un peu de fiction, d'autant qu'il paraissait évident que l'auteur avait effectué des recherches sérieuses et approfondies sur le sujet. J'ai donc emporté le livre, et je ne l'ai pas regretté. Je pense maintenant que la manière dont Jean-Baptiste Thiérrée a abordé le sujet était probablement celle qui convenait le mieux. Ce livre est l'histoire d'une passion, doublée d'une recherche biographique. D'un côté il y a la l'histoire de la quête, romancée, qui montre l'intimité et les liens forts qui souvent se nouent entre le biographe et l'objet de son étude, et de l'autre, le fruit d'une recherche bien réelle, c'est-à-dire tous les documents rassemblés au fil du temps et qui permettent de retracer le parcours de Polaire, depuis sa naissance en Algérie, en 1874, jusqu'à sa fin misérable en 1939. Fiction et faits historiques coexistent de façon intelligente et harmonieuse dans le récit, sans jamais se confondre.
J'ai un moment regretté qu'il n'y ait aucune photo montrant Polaire vers la fin de sa vie, mais je pense maintenant qu'il s'agit d'un choix délibéré, d'une délicatesse de l'auteur, qui n'a pas voulu offrir la déchéance de l'artiste en pâture au public. L'image brutale de la misère a toujours quelque chose d'obscène, et cette obscénité n'avait pas sa place dans un livre qui est avant tout un hommage et une déclaration d'amour.
Un grand merci à monsieur Thiérrée pour avoir partagé avec nous sa "folie Polaire".
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Jean-Baptiste THIÉRRÉE
La Folie Polaire
Lume, 2007
ISBN 978-2-915474-16-9
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J'ai découvert qu'il existait des enregistrement de Polaire sur internet : ce site, dédié à la chanson française depuis le XIXe siècle, propose quatre chansons d'elle, ainsi qu'une biographie succincte et des photographies. Cela fait tout drôle d'entendre Polaire après avoir lu le livre. Je ne m'attendais pas à cette voix.



1 Comments:
La folie Polaire
Paris, années 90. Un certain Jean-Michel, la cinquantaine, marié, imprimeur de son état, une petite vie sans histoires, bascule une fameuse nuit dans un rêve extravagant qui va profondément bouleverser son existence. Si le lieu qui sert de décor à ce rêve lui est familier (La Porte Saint-Martin dans le dixième arrondissement, où se trouve son imprimerie) l’ambiance, elle, en est devenue totalement méconnaissable. Des hordes de chevaux attelés ont remplacé les cohortes de voitures, la rue ne sent plus l’essence mais le purin, et la population qui s’y bouscule semble tourner un film ressuscitant la Belle Epoque : hommes moustachus et chapeautés, femmes coiffées de bibis relevant d’une main gantée leur longue robe qui tombe sur des bottines…Ce songe singulier qui semble être incontestablement un voyage dans le temps conduit l’imprimeur-rêveur devant un théâtre (devenu aujourd’hui un cinéma porno) le «Scala», devant lequel se bouscule une foule excitée, pressée d’aller écouter et applaudir une chanteuse que lui, Jean Michel, ne connait pas et qu’on nomme Polaire.
Suivant docilement ce public fanatique (et fantomatique), Jean Michel, imprimeur de la fin du vingtième siècle, ignore encore que en s’en laissant porter vers ce temps passé et à l’intérieur de ce music-hall aujourd’hui disparu, il court à son plaisir mais aussi à sa perte, car la créature qu’il va découvrir sur la scène va le rendre fou : « … terriblement fragile…des yeux… un regard…de feu, de miel, de folle, de biche, de chat, de rat…une bouche épaisse dessinée à ravir, une taille si mince, si mince… d’une minceur presque insupportable. Cette tignasse de lionne, ces bras de petite fille, ces chevilles de chevrette… ».
Telle lui paraît Polaire la chanteuse, qui va devenir… sa danseuse! Puisque il dépensera pour elle, une fois sorti de son rêve, une fois éveillé (mais le sera-t-il vraiment, n’ayant pas cessé de se rendormir pour enfin la retrouver?) sa paie d’imprimeur et même plus (son mariage y trépassera) pour découvrir – émerveillé, halluciné – qui était cette créature, cette ensorceleuse, collectionnant affiches, articles de presse, photos, autant de trésors perdus qu’il s’emploie à rassembler pour nourrir sa passion, son amour d’une défunte, sa folie Polaire…
Jean Baptiste Thiérrée est l’auteur facétieux de cette histoire plus qu’improbable qui, par la richesse des documents (écrits et photos) collectés par ses soins durant des années au nom de ce qu’on pourrait nommer sans exagérer une « passion Polaire », ressuscite bien plus qu’une froide biographie la vie d’une vraie star qui joua au théâtre le rôle de la Claudine de Colette et rendait fous hommes et femmes de son époque.
Amateur de l’onirique, du fabuleux, de la dérision – toutes choses présentes dans l’excellent Cirque Invisible dont il est l’auteur eu théâtre avec Victoria Chaplin, et déjà esquissées dans le numéro de son Baptiste au cabaret l’Ecluse filmé par Fellini dans Les Clowns en 1970 – Jean Baptiste Thiérrée signe ici un conte baroque qu’on ne peut quitter, capté et séduits, qu’à la dernière page.
Gageons que si Polaire revenait sur terre, elle se pendrait, reconnaissante, au cou de Jean-Michel l’imprimeur – pardon ! de Jean Baptiste Thiérrée – qui l’a si bien et si amoureusement tirée de l’oubli…
Texte de Candida Foti
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