10 août 2007

Le Mythe de la Contre-Culture




Révolte Consommée - Le Mythe de la Contre-Culture
Joseph Heath & Andrew Potter
Naïve, 2005
ISBN 2 35021 019 7
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Le livre est sorti en 2004 au Canada, sous le titre de Rebel Sell, et en 2005 en France, mais je viens seulement de le lire.

"Dans ce livre, nous avançons l'idée que si des décennies de rébellion contre-culturelle n'ont rien changé, c'est parce que la théorie de société sur laquelle repose l'idée contre-culturelle est fausse".

L'idée reçue c'est que la société est victime du capitalisme, qui, à grand renfort de publicité, s'arrange pour fourguer à la masse conformiste et lobotomisée tout un tas de produits dont elle n'a pas besoin. La contre-culture se voulant le contre-pouvoir lucide à ce système débilitant et coercitif.

C'est cette idée reçue que les deux auteurs s'emploient à démonter, en démontrant que la surconsommation n'est pas le fruit du conformisme mais, au contraire, le résultat d'une consommation concurrentielle motivée par la quête de distinction. Dans nos sociétés compétitives, les gens ne consomment pas pour faire comme tout le monde, mais, au contraire, pour se distinguer de la masse et affirmer leur différence. C'est cette quête de distinction qui les lance dans une logique de surconsommation semblable à la course aux armements à laquelle se livrent les pays. C'est la rareté qui distingue, rareté du produit de luxe, ou originalité de l'idée ou de l'attitude. C'est là que la rébellion contre-culturelle intervient comme créatrice de cette originalité tant désirée.

Le premier point démontré par les auteurs est que la contre-culture, loin d'empêcher la consommation de masse, fait, au contraire, partie intégrante du système en agissant comme moteur. Le deuxième point étant que l'idée politique de rébellion contre-culturelle, en s'opposant systématiquement à tout ce qui est organisé et étatique, et à toutes les règles et à tous les systèmes en général que, sans distinction, elle accuse d'être répressifs et coercitifs, affaiblit les États et les pouvoirs qui pourraient améliorer la société par des mesures réglementaires. Non seulement la contre-culture, en tant que projet politique, n'a jamais été capable d'apporter des solutions valables, mais, le plus souvent, elle aggrave la situation en s'opposant aux mesures qu'elle ne trouve pas assez radicales.

Par ailleurs, en assimilant toute déviance sociale à un acte de dissension, et en lui vouant une sorte de culte, la contre-culture n'a eu, pour le moment, pour seul effet, que d'encourager et de banaliser l'incivilité. "Poussée à l'extrême, elle a engendré un cycle de transgression sociale concurrentielle qui a fini par engendrer des comportements et des attitudes foncièrement antisociaux". Selon les auteurs, c'est ce mythe de la contre-culture qui a mené la gauche droit dans le mur. Les auteurs affirmant que "l'habitude contre-culturelle d'assimiler liberté et violation des normes sociales est devenue un boulet politique pour la gauche."
On en a eu la démonstration en France, récemment. En fait, en lisant ce livre, on se rend compte que le programme de Ségolène Royal était entièrement et typiquement un produit de la contre-culture, dont cet essai de 2004 annonçait déjà l'échec. D'ailleurs, pour un politicien prétendant gouverner un État, adopter les idéaux de la contre-culture, et donc l'idée qu'il faut être rebelle à tout ordre et à toute institution parce que tout ordre établi est suspect, équivaut à scier la branche sur lequel il est assis ou à se tirer une balle dans le pied.

C'est un livre facile à lire, et très intéressant, parce que toute notre société est marquée par la contre-culture, et que, dans notre quête de différence, nous sommes tous, sans même nous en rendre compte, victimes de ses sirènes. Les auteurs ne le disent pas, mais je pense que la contre-culture est devenue la nouvelle norme morale, aussi conformiste, intolérante et étriquée, et qui pèse sur la société, autant, et de manière aussi désagréable, que le faisait celle de la bourgeoisie bien pensante par le passé.

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Joseph Heath est professeur en philosophie à L'université de Toronto et Andrew Potter est chercher en éthique à l'université de Montréal.

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