08 juillet 2006

Chick Film


Sans surprise, le film de Sofia Coppola est une œuvre emblématique du temps présent, qui dépolitise tout et privilégie un formalisme pesant. Je ne sais plus qui a dit que la beauté sauverait le monde, mais ce film m'a donné le sentiment qu'avant de le sauver elle allait certainement le lobotomiser.

Rien dans le film, à aucun moment, n'invite à la réflexion, pas plus qu'à s'intéresser à l'Histoire. Une allusion, même fugace, aux conditions misérables de la reine dans sa prison du Temple, en offrant un contrepoint au glamour, nous aurait peut-être donné l'opportunité d'ébaucher un commencement de raisonnement philosophique sur les aléas de la vie, ou sur la conséquence de nos actes, mais rien de cela dans le film. La partie dramatique de la vie est écartée. La cinéaste a laissé de côté la laideur et les sujets sérieux pour ne pas gâcher le plaisir, laissant allégrement de côté la guillotine pour nous faire nous vautrer, en compagnie de la jeune souveraine, dans le luxe et les raffinements d'une existence dorée et futile.

Je suis sortie du cinéma avec l'étrange pensée que, même en sachant que passer par le couperet serait le prix à payer pour vingt ans de frivolité, de caprices, de luxe et de jouissance, si j'avais la possibilité de choisir je choisirais un destin comparable. Ce que l'on peut résumer par la philosophie nihilisto-hédoniste de la jouissance immédiate : la guillotine on s'en fiche, du moment qu'on en profite à fond avant. J'ai bien peur que ce soit là toute la philosophie du film, ce qui est regrettable. D'autant plus regrettable que le Sofia Coppola, en s'intéressant seulement à la partie légère de la vie de la reine empêche que l'on voie ce qui fit la grandeur de Marie-Antoinette : son courage et son héroïsme dans une épreuve horrible. Une injustice de plus.

Marie-Antoinette est un film sensuel. Pas dans le sens de sexuel, mais d'un film dirigé exclusivement aux sens, et plus spécialement à la vue.
Que le film soit beau, il l'est. Il est d'une beauté et d'un esthétisme tels que je n'ai pas réussi à me souvenir d'un film qui fût aussi beau et esthétique. On perçoit même le plaisir qu'a eu la metteur en scène à filmer d'aussi belles choses. L’œuvre n'est qu'une longue symphonie d'instants, de moments, filmés de la manière la plus sensible, où la cinéaste profite de chaque moulure, reflet, lumière, papier mural, tissu et détail pour faire de la scène une œuvre d'art. C'est là que réside la force de l’œuvre. En fait, c'est là que réside tout l’œuvre. En dehors de l'image, il n'y a rien. Cette beauté de l'image est aussi le point faible du film, car elle écrase tout : impossible de partager les émotions de la jeune reine quand le sentiment dominant est la beauté à couper le souffle de la scène.

Les dialogues étant brefs et rares (et heureusement, diront certains, car ils sont nuls...), la communication passe par l'image, la bande sonore, les gestes, d'où la nécessité d'en rajouter, dans les détails, dans les comportements, dans les symboles, et d'utiliser l'artifice de la répétition des mêmes scènes pour matérialiser l'évolution ou les changements de situations. De là, évidemment, le côté caricatural du film, bourré de clichés sur lesquels pèse aussi la vision manichéenne et morale américaine. A cause des ses origines humbles et de sa vie de courtisane, la du Barry devient une Cruella de Disney, mais en plus vulgaire et stupide (ce que, soit dit en passant, elle n'était pas). Le coiffeur Léonard, est, comme tout bon coiffeur se doit, une grande folle ; la duchesse de Polignac est présentée comme une nymphomane ; Louis XV comme un vieillard lubrique, et Louis XVI en imbécile toujours occupé à se goinfrer... La cour est glaciale, ennuyeuse et ridicule. Marie Antoinette passe son temps à rire, à se divertir, à picorer des gâteaux de toutes les couleurs et de toutes les formes, et a une collection de chaussures à faire mourir d'envie la moindre lectrice de Vogue. Pour toutes ces raisons, le spectateur éprouve plus d'empathie pour les meubles, les carrosses, les ors et les fontaines de Versailles que pour les personnages de l'histoire.

La bande sonore est l'autre versant de la communication émotionnelle : le rock est utilisé pour souligner la frénésie de jeu et de plaisirs qui s'empare de la reine au moment où son mariage semble partir à vau-l'eau. Je n'ai pu m'empêcher de voir là-dedans le lieu commun inévitable : comme elle était moderne ma reine ! La musique pseudo classique apparaît dans les moments de calme (je ne vais pas dire d'introspection car ce serait suggérer que les personnages du film ont une vie intellectuelle). La musique d'époque sert seulement de musique de circonstance, quand il est impossible, même avec la meilleure volonté du monde, d'harmoniser les attitudes et les pas des pseudo danses anciennes avec les rythmes de New Order. Seule l'air de Rameau "Triste apprêts" échappe au contexte utilitaire et symbolise le début d'une chute que nous ne verrons pas. Est-ce parce que la tristesse et la gravité ne font pas bon ménage avec la musique contemporaine ? Ou bien s'agit-il de sous-entendre que le tragique est une chose du passé ?

Sofia Coppola a dit que son film n'était pas historique. C'est la pure vérité. Le film est seulement une lecture "chick"*** , et donc totalement anachronique, de la vie d'une femme du passé. Elle fait de Marie Antoinette une héroïne d'aujourd'hui, la plaçant dans le panthéon de la modernité, entre Bridget Jones et Paris Hilton. Je conseille ce film pour sa beauté ineffable, mais n'en attendez pas plus. Surtout pas de l'histoire et de l'historiquement correct. La cliente de la chick lit, des chick soap et des revues glamour va adorer, et les mecs vont s'y ennuyer... sauf les coiffeurs "queer" fans de lady Di.

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*** - Chick, non pour le "chic" ou le glamour, mais pour être une version cinématographique de la "chick lit" (chicken literature), cette littérature, conçue pour l'adolescente/adulescente branchée mode et style, et qui est apparue à la fin des années 90 avec des auteurs comme Helen Fielding (Le Journal de Bridget Jones), Candace Bushnell (Sex and the City) ou, plus récemment, Lauren Weisberger (The Devil Wears Prada - celui-là si mauvais que je n'ai pas réussi à aller au-delà de la quatrième page -, et dont la version cinématographique, aussi esthétique que vide, vient d'être lancée aux Etats-Unis).

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